Depuis 2021, et dans la lignée de la loi EGalim, toutes les communes françaises sont soumises à une obligation de proposer un repas végétarien par semaine dans leurs cantines scolaires. Certaines, pourtant, ne le font pas. Enquête au coeur des assiettes girondines. 

Aller encore plus loin ? Deux repas végétariens pour toutes et tous par semaine. Telle était la proposition de loi de la députée EELV des Hauts-de-Seine, Francesca Pasquini. Si plusieurs municipalités tendent à le mettre en place, le texte a pourtant été rejeté le 6 avril dernier à l’Assemblée nationale. Mais quelles cantines, en Gironde, se plient déjà à l’exigence d’un repas végétarien hebdomadaire imposée par la loi Climat et Résilience ? 

Nous avons étudié les menus des cantines scolaires de 107 communes girondines, dont les données étaient disponibles, entre 2017 et 2023. Presque un an après la loi Climat et Résilience, qui a rendu obligatoire le repas végétarien hebdomadaire, au moins sept communes de notre échantillon ne respectent pas cette loi : Andernos Les Bains, Castelnau de Médoc, Cissac Médoc, Daignac, Les Artigues de Lussac, Moulis en Médoc et Saint-Emilion. Notons cependant que d’autres communes girondines ont pu échapper à notre analyse, faute de moyens suffisants.

Depuis quatre ans, les législateur·ices imposent de nombreux changements à la restauration collective. La loi dite EGalim, votée en 2018, a imposé une nette amélioration de la qualité des aliments servis dans les cantines. À partir du 1er novembre 2019, elle a aussi institué une expérimentation de deux ans du repas végétarien hebdomadaire – soit sans viande ni poisson – dans l’ensemble des cantines scolaires des écoles privées et publiques. Ce test est devenu une obligation en 2021 avec la promulgation de la loi Climat et Résilience.

Un enjeu environnemental et de santé publique 

La viande est, certes, très gourmande en eau et responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, selon un rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) de 2015, mais elle serait aussi responsable de l’augmentation des risques de maladies cardio-vasculaires et de diabète. 

Pour l’élue à la mairie de Bègles, “l’impact sanitaire de la consommation de viande excessive est un levier important pour faire accepter les menus végétariens à tous, et peut-être même plus que le levier environnemental”. Dans les cantines scolaires des écoles élémentaires de cette commune de la métropole bordelaise, l’option végétarienne est quasiment quotidienne. 

Bien que l’application de la loi ait été parasitée par la pandémie de Covid, comme l’explique Astrid Prévost, responsable du pôle « Végécantines” de l’Association Végétarienne de France, nous avons observé une nette amélioration entre avant et après l’expérimentation de la loi de 2018. 

Les données récoltées par Greenpeace en 2017 et en 2020 nous ont permis d’étudier l’évolution des pratiques girondines. Sur les 54 communes qui ne proposaient pas de repas végétarien exclusif hebdomadaire en 2018, 46 le proposent en 2023.

2017-2018
2020
2023

Source : Greenpeace et les menus mis à dispositions par les 107 écoles.

Cette carte montre une grande différence d’application de la loi entre certaines communes girondines. Par exemple, la commune de Bègles va au-delà de la loi en proposant deux repas végétariens exclusifs par semaine, quand Daignac ne planifie que des repas à base de viande ou de poisson pour tout le mois de mai. 

D’autres bonnes élèves, comme la commune du Haillan, font de l’excès de zèle en proposant une alternative végétarienne quotidienne. 

Bègles, entre autres, a été l’une des premières villes de Gironde à mettre en place le menu végétarien dès 2014. “Il y a de plus en plus d’enfants qui sont inscrits en option végétarienne, alors même que leurs parents ne sont pas végétariens” justifie Amélie Cohen Langlais, adjointe au maire de Bègles chargée des politiques alimentaires.  Cette loi a aussi été la bienvenue à Cenon comme l’explique Isabelle Noailles, en charge de la restauration collective à la Mairie de Cenon : “La loi EGalim répond à une forte demande des parents en termes de menus végétariens.”

À la cantine de l’école Paul Langevin à Bègles, un repas végétarien et plusieurs options végétariennes sont proposés chaque semaine. Aujourd’hui : lasagnes courgette ricotta. Janice Bohuon

“Une loi brutale”

Pour la plus part des communes étudiées, le défi de la mise en place d’une telle initiative reste important. Il s’agit, pour elles, d’un changement radical, notamment de leurs filières d’approvisionnement. 

La loi a été brutale. Il y a eu un manque d’accompagnement de la part de l’État, de moyens financiers alloués alors même que le budget des communes n’a fait que baisser”, affirme Gilles Pérole, responsable du groupe de travail “Restauration scolaire” au sein de l’Association des Maires de France (AMF) et adjoint à l’enfance-éducation-alimentation de la commune de Mouans-Sartoux (06).

Pour lui, le non-respect de la loi serait également dû à une carence de moyens administratifs permettant aux plus petites mairies de suivre de près les législations. “À l’AMF, on aurait préféré une loi progressive avec des paliers. D’autant plus que l’obligation du menu végétarien hebdomadaire a été pérennisée avant la fin de l’expérimentation de deux ans, et sans même d’évaluation.” L’expérimentation lancée par la loi EGalim a été prolongée par la loi Climat et Résilience en 2021 pour une fin initialement prévue en juin 2022. 

Ce manque d’accompagnement a créé une crainte de la part de certaines communes. Ce qui les conduit, comme pour Castelnau-de-Médoc, à faire appel à un prestataire privé. Seulement, l’externalisation des repas a un coût financier important pour une qualité des aliments qu’il est difficile de vérifier : “Pour les repas végétariens, ils [les groupes privés] utilisent souvent des substituts transformés et industriels, comme des boulettes ou steaks végétaux” pointe Gilles Pérole.

Des communes soumises à la réalité du terrain

La gestion de l’alimentation collective dans une commune repose sur une multitude de facteurs. Au niveau politique, les délégations chargées de l’alimentation diffèrent selon les communes, et cela reste une compétence résiduelle. Pour trouver une vraie explication aux divergences de l’application de la loi, il faut regarder de près la réalité du terrain, et notamment dans les plus petites communes.

Comme nous l’avons souvent observé en épluchant les menus scolaires, des communes privilégient les repas carnés aux repas végétariens dès lors qu’il y a des jours fériés. Fanny Bréaud, élue chargée de l’alimentation à la mairie de Le Tourne, le reconnaît : “C’est vrai que c’est souvent le repas végétarien qui saute. Les cuisinier·es préfèrent faire plaisir aux enfants. Les repas carnés fonctionnent beaucoup mieux que les repas végétariens”. 

Pédaler dans la semoule

À Lesparre, dans le Médoc, ni les menus végétariens hebdomadaires, ni la loi Climat et Résilience, ne sont une priorité. Contactée, Danielle Fernandez, première adjointe au maire et déléguée à la vie scolaire, se dit “très vigilante à ce que les enfants mangent”. Pourtant, la commune ne respecte pas l’obligation légale du repas végétarien hebdomadaire pour toutes et tous. 

Sur la seule semaine de repas affichée sur le site de la mairie, aucun repas végétarien. L’élue avance que la commune “fait ce qu’elle peut”, avec ses moyens financiers, pour “faire des menus végétariens quand cela est possible”. Seulement, impossible de le vérifier et la mairie a refusé de nous transmettre les menus des autres semaines. Elle conclut : “Si les enfants ne mangent pas de viande, ils ont un peu plus de légumes, un peu plus de féculents et en effet, pas de protéine”. Dans le cadre légal, la municipalité de Lesparre ne risque aucune sanction.

Myriam Ben Ciechi, référente FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) des écoles primaires et des lycées en Gironde, se dit très choquée que des cantines ne respectent pas la loi EGalim. Comme un appel à témoignages, cette dernière lance : “Il faut que les familles concernées viennent nous voir pour qu’on puisse entrer en concertation avec les conseils locaux”. 

Des freins idéologiques transpartisans

Et si l’explication était avant tout une affaire d’idéologie politique ? Pour Astrid Prévost, responsable du pôle « Végécantines » de l’Association végétarienne de France (AVF) et nutrithérapeuthe, il y a évidemment “un énorme frein idéologique”. 

Selon elle, de nombreuses collectivités sont opposées au fait de proposer des menus sans viande. En témoigne la polémique autour de la mairie de Lyon en 2020, qui avait décidé de supprimer la viande de certains repas, et s’était vu accusée de communautarisme, entre autres. 

Francis Feytout, élu de la majorité à la mairie de Bordeaux, et délégué à la protection du vivant, abonde en ce sens. À ses yeux, la frange conservatrice de la sphère politique française demeure réfractaire à la question du végétarisme, considérant la viande comme essentielle à l’alimentation. “Il n’y a qu’à écouter les discours de Fabien Roussel, du PCF, pour s’en rendre compte.” Amélie Cohen-Langlais, élue municipale à la mairie de Bègles, déléguée à l’alimentation, pointe les lobbies de l’alimentation d’origine animale dont les lobbies pro-viande. 

Il manque du beurre dans les épinards 

Et ces freins idéologiques expliquent, en partie, l’absence de sensibilisation et de formation des élu·es et des cantinier·es pour introduire des repas végétariens dans les restaurants scolaires, d’après l’Association Végétarienne de France (AVF). Elle a lancé en 2018, au moment des discussions autour de la loi EGalim, une campagne nommée “Végécantines” visant à végétaliser la restauration collective et à faire connaître la loi. Pour Gilles Pérole, le non-respect de la loi serait davantage dû à un souci de méconnaissance qu’à une volonté de ne pas l’appliquer. “La pédagogie est indispensable” lance-t-il. 

Sans formation, les cuisinier·es peinent à proposer de réelles alternatives végétariennes, avec une diversification de l’apport en protéine (soja, oeuf, fromage, légumineuses, céréales). “Ils et elles pensent que c’est impossible de cuisiner végétarien” relève Elsa MIninger, étudiante au sein du diplôme universitaire  “Chef de projet en alimentation durable option collectivité territoriale” à Mouans-Sartoux (06). Pour pallier ce manque, « Végécantines », tout comme « Assiette Végétale » ou encore « Nourrir l’avenir » proposent des formations auprès des élu·es et cantinier·es mais qui restent insuffisantes, “faute de moyens humains et financiers”, comme le déplore Astrid Prévost, d’AVF. 

Ces initiatives paraissent d’autant plus essentielles que les repas ne doivent pas seulement satisfaire des qualités nutritionnelles mais aussi des qualités gustatives et visuelles, adaptées aux enfants. “L’aspect visuel du plat est essentiel pour un enfant. Il est même plus important que le goût. Si un enfant n’aime pas le visuel des champignons, il n’en mangera pas. Mais si l’on en fait des galettes, il en mangera, il adorera” constate Francis Feytout, élu de la majorité à la Mairie de Bordeaux et délégué à la protection du vivant. 

Rendre le plat attrayant pour l’enfant, tant sur la texture que sur l’aspect, permet aussi de lutter contre le gaspillage alimentaire. “Les repas végétariens ont tendance à être gaspillés” remarque Isabelle Noailles, responsable de la gestion des personnels et de la restauration à Cenon. À la cantine de l’école Paul Langevin de Bègles, le constat est le même. Alors, pour tenter d’y faire face, le personnel essaie de les sensibiliser à travers des affiches et des activités montrant de nouveaux modes d’alimentation. “Déjà, on remarque que les enfants vont au-delà du simple fait de goûter” affirme Sandra Astier, responsable périscolaire de l’école.

Que mangent vraiment vos enfants ?

Note : Ces chiffres sont à prendre avec précaution. L’Agence nationale de sécurité alimentaire (ANSES) recommande, dans son Programme national nutrition santé (PNNS), d’évaluer la qualité nutritive d’un menu sur 20 repas successifs. Faute de moyens, nous avons seulement pu observer le repas végétarien de la dernière semaine recensée. 

Les protéines proviennent de différentes sources, qu’elles soient animales (viande, poisson, fromage, oeuf) ou végétales (soja, légumineuses et céréales). ”Les protéines sont indispensables au bon développement de notre corps humain. Elles agissent dans toutes les commandes de notre immunité, de nos antigènes” explique Françoise Aulnette, diététicienne. L’apport en protéines est donc essentiel. “Si il n’y a pas d’apport de protéines en entrée, en plat ou en dessert, et en quantité suffisante, alors on ne s’y retrouve pas pour les besoins nutritionnels d’un enfant”.

Pour la majorité des repas, la protéine provient de sources animales hors viande : le fromage et les œufs. Pour Françoise Aulnette, ce n’est pas étonnant. Ces deux protéines restent relativement faciles à cuisiner et acceptées par les enfants. Pourtant, l’ANSES encourage de cuisiner au moins la moitié des repas végétariens dont la source principale de protéines provient des légumineuses. Elle déconseille une consommation de soja régulière : des doutes persistent quant à son caractère de perturbateur endocrinien. 

La voix des jeunes convives 

À Bordeaux, l’introduction des repas végétariens hebdomadaires, tout comme les options végétariennes quotidiennes, constituait une promesse de campagne pour les municipales 2020. 

Élaborés six mois à l’avance au sein de commissions menus, plusieurs diététiciennes travaillent à demeure. L’objectif de la ville de Bordeaux est clair : développer encore davantage les filières d’approvisionnement pour proposer, au plus vite, deux repas végétariens exclusifs par semaine. Avec 23 000 à 26 000 repas à servir par jour, le défi est de taille. 

Pour s’adapter au mieux aux attentes et besoins des enfants, ces derniers sont intégrés au processus de végétalisation de l’alimentation en restauration scolaire. Invité·es régulièrement, les enfants répondent à des formulaires de satisfaction sur la composition des menus. Plus encore, les membres du conseil municipal des enfants sont convié·es à goûter les plats à l’avance, à la cuisine centrale. Finalement, la solution à l’application de la loi ne serait-elle pas de consulter directement les premier·es concerné·es, les enfants, comme le fait déjà Bordeaux ?

Janice Bohuon, Enora Foricher, Zeina Kovacs, Zoé Moreau, Sofiane Orus-Boudjema et Lucas Zaï–Gillot