Dans un rapport publié en début d’année, l’Académie Nationale de Médecine préconise la fermeture partielle des maternités de type 1 dont le nombre de naissances par an est inférieur à 1000. En Nouvelle-Aquitaine, une quinzaine de maternités seraient concernées. Un chiffre alarmant quand la région ne compte que 43 maternités, qui sont parfois à plus de 45 minutes de certaines communes.

Acte 1

Maternités en danger : les personnes enceintes en première ligne

Une heure et vingt-neuf minutes de trajet. 89 minutes pour relier la commune de Lesparre-Médoc à Bordeaux, partir de son domicile et se rendre à l’Hôpital Pellegrin pour accoucher. Chloé a été contrainte de venir jusqu’à la maternité de Pellegrin pour faire suivre sa grossesse, celle de Lesparre-Médoc, pourtant à trois minutes de chez elle, étant “souvent fermée à cause du manque de gynécologues-obstétriciens”, affirme-t-elle. En 2022, les patient·es de la Clinique de Lesparre ont en effet trouvé portes closes à quatre reprises, dont tout le mois d’août, pour cause de manque de personnel et, surtout, à la suite de difficultés de recrutement.

À cette période, l’équipe soignante lesparraine s’est vue rediriger les personnes suivies vers l’hôpital privé Wallerstein à Arès, et à la polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine, expliquait Christine Bouffard, sage-femme coordinatrice de la Clinique de Lesparre, au journal Sud Ouest en fin d’année 2022.

La peur ancestrale d’accoucher dans les transports ou dans la rue

Selon une étude menée par le Parisien, France 5 et la Boîte Rose auprès d’un échantillon de 4 242 jeunes mamans du 29 mars au 8 avril 2019, pour la moitié d’entre elles la proximité entre le domicile et le lieu de prise en charge de la grossesse s’imposait comme le premier critère de choix de maternité. La réputation de l’équipe soignante et de l’établissement semblait être moins prise en compte, ne faisant pas le poids face à “la peur ancestrale d’accoucher dans les transports ou dans la rue”. Alors, lorsque Chloé prend la décision d’être suivie à l’hôpital Pellegrin, elle s’expose à neuf mois de stress, celui de ne pas pouvoir y être à temps pour accoucher. 

La fuite des intérimaires

Depuis le début de l’année 2023, la clinique de Lesparre-Médoc a retrouvé sa vitesse de croisière, comme plusieurs cliniques de la région. Une des solutions ? Avoir recours aux intérimaires pour combler le manque de médecins, de sage-femmes et de gynécologues-obstétriciens. En 2021, en France, 41,1% des cliniques faisant naître entre 500 et 999 bébés par an avaient recours plusieurs fois par mois à l’emploi de gynécologues-obstétriciens intérimaires. Une solution mise à mal par la loi Rist, votée en avril 2021, dont l’application a été rendue obligatoire pour tous les hôpitaux depuis le 3 avril 2023.

Avec cette loi, tout établissement public de santé qui accepterait de verser aux médecins intérimaires des rémunérations supérieures au plafond légal (initialement fixé à 1 170 euros brut pour vingt-quatre heures de garde) ne serait plus remboursé par le comptable public. Une obligation mettant en péril les relations des hôpitaux avec leurs intérimaires, habitués à des rémunérations supérieures (entre 1200 et 1500 euros net hors période de fêtes). Une obligation récusée par le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH) qui menace de “prendre des vacances prolongées à partir d’avril”, rapportait Eric Reboli, président du SNMRH, à Libération le 28 mars 2023.

À Villeneuve-sur-Lot, l’inquiétude de Bruno Chauvin, directeur de l’hôpital, est grande concernant le futur de ses équipes. Ayant besoin de médecins intérimaires, l’hôpital se trouve aujourd’hui au pied du mur à cause de l’application obligatoire de la loi Rist. Bruno Chauvin est alors clair : “une semaine, 15 jours d’intérim, ça ne sera plus possible.  Donc, effectivement, ça nous oblige soit à pérenniser l’effectif en place pour éviter le besoin de remplacement, soit de grossir l’effectif en gynéco-obstétricien, ce qui, aujourd’hui, n’est pas possible [avec les moyens disponibles].” Les petites cliniques en tension risquent donc, une nouvelle fois, d’être contraintes de baisser le rideau.

Comme 97,4% des personnes enceintes, Chloé a décidé d’accoucher dans un établissement spécialisé. Face à la baisse constante du nombre de maternités depuis les années 1975 annoncée par la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees), face aux tensions traversées par les petites maternités, Chloé accouchera à Bordeaux. À une heure et vingt-neuf minutes de son domicile.

Acte 2

La réponse de l’Académie de Médecine : 16 maternités de Nouvelle-Aquitaine devraient être fermées 

Plus d’un tiers des maternités de Nouvelle-Aquitaine seraient menacées de fermeture. Si le Gouvernement applique les préconisations du nouveau rapport de l’Académie Nationale de Médecine : seize maternités sur les quarante-trois que compte la Nouvelle-Aquitaine ne pourraient plus accueillir d’accouchements.

Pourquoi ? Présentée fin février 2023, l’étude du professeur Yves Ville, chef de la maternité de Necker à Paris, recommande de fermer les “petites” maternités de type 1 (où seul un service obstétrique est assuré), qui comptabilisent moins de 1000 naissances par an. Les patientes et les soignant·es seraient transféré·es dans des maternités plus grandes (de type 2 ou 3). Ces “petites” maternités deviendraient des Centres Périnataux de Proximité (CCP) : le suivi de la grossesse et du post-partum continueraient d’y être assurés, mais plus les accouchements.

Regroupements des maternités

Yves Ville – rapporteur principal que nous n’avons pas réussi à contacter – estime que les petites maternités manquent de personnel, le recours à des professionnel·es de santé intérimaires ne suffisant pas. Les maternités ferment donc temporairement, entraînant un manque de pratique et d’expérience. La qualité d’une unité serait ainsi directement liée à la quantité de naissances.

Avec cette affirmation, Yves Ville et l’Académie de Médecine s’inquiètent que les petites maternités soient alors exposées à des accouchement plus dangereux pour les femmes et pour leurs enfants. Pourtant, l’exemple de la maternité de Marmande semble être à l’opposé de la situation décrite dans le rapport. Interrogée au sujet de la tension de la maternité, Emeline Duchamp, sage-femme coordinatrice, estime que “le nombre de personnels soignants et d’équipements au sein de l’unité est suffisant pour prendre en charge sans difficulté les 700 accouchements annuels”. La maternité serait, pour autant, concernée par la fermeture de son service d’accouchement si le rapport était appliqué par le gouvernement, rendant plus compliqué l’accès aux soins par les patient·es aux alentours. Et si le rapport parle également du manque de moyens et de matériels dans les maternités de type 1 comme raison de fermeture, la solution serait la recentralisation des unités dans des structures de type 2 et 3.

Pour Anne Évrard, co-présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) et auditionnée dans ce rapport, “le remède proposé par l’Académie ne permettra sûrement pas de compenser le mal”. Selon le rapport de l’Académie, la mutation des professionnel·les de santé sur les grosses maternités permettrait d’absorber les nouveaux accouchements à prendre en charge sans engorger l’unité. Mais pour la co-présidente du CIANE, ces déplacements “ne sont absolument pas garantis. Certains soignants vont difficilement accepter de partir travailler plus loin de chez eux, et dans des plus grandes maternités où les conditions de travail sont différentes.” Un autre problème à soulever selon elle : malgré les moyens plus grands dans les maternités de type 2 et 3, toutes “n’ont pas la capacité d’accueillir les patientes des petites maternités, car il manque déjà du personnel et des lits. Les locaux doivent aussi être agrandis ou aménagés pour accueillir davantage de patientes.” 

En France, ces maternités devront absorber 76 779 nouveaux accouchements et donc patient·es. Selon nos jeux de données, cela représente le nombre d’accouchements que réalisent les maternités de type 1 concernées par les éventuelles fermetures. En Nouvelle-Aquitaine, notre territoire privilégié pour cette enquête, ce sont 8435 nouveaux accouchements que devront accueillir les maternités de type 1 et 2.

Des conditions qui rendraient alors le rapport difficilement applicable en l’état, sans moyen supplémentaire déployé. Laurence Bureau, sage-femme coordinatrice de la maternité d’Ussel en Corrèze, explique avoir “une épée de Damoclès au dessus de la tête depuis au moins 10 ans. Ce rapport qui préconise notre fermeture est juste un de plus. Nous ne sommes pas inquiets.

Acte 3

Une réforme qui pèse sur le milieu rural en Nouvelle-Aquitaine

Pourtant, si les préconisations de l’Académie Nationale de Médecine étaient bel et bien appliquées, les conséquences seraient importantes. Les temps de trajet entre communes et maternités pourraient s’allonger en moyenne de 14km (à vol d’oiseau) en Nouvelle-Aquitaine.

La fermeture de maternités de moins de 1000 accouchements causeraient des catastrophes sanitaires et humanitaires.” 

De quoi accentuer des disparités déjà importantes entre les départements. Alors que 25% des habitant·es les plus défavorisé·es de la Creuse sont déjà à plus de 53 minutes de la maternité la plus proche, les 25% des habitant·es les plus défavorisé·es de Gironde sont, elles et eux, à plus de 30 minutes de la maternité la plus proche, d’après la Drees. Or, si elles étaient suivies, les recommandations de l’Académie nationale de médecine augmenteraient la distance à vol d’oiseau entre les communes de la Creuse et les maternités les plus proches de 11 kilomètres, en moyenne. 

21 km supplémentaires à parcourir en Corrèze

Selon nos données, la Corrèze serait le département le plus touché par cette augmentation du temps de trajet. Après la réforme, les habitant·es devront parcourir en moyenne 21 km de plus à vol d’oiseau. Les Deux-Sèvres devront, eux, parcourir qu’un km en plus en moyenne.

Risques d’accouchement prématurés et sur la route

Dans le cas de la maternité de Villeneuve-sur-Lot, la fermeture de l’unité d’accouchement déporterait le service à la clinique d’Agen à 30 kilomètres, allongeant drastiquement la distance d’accès aux soins pour les patient·es. Bruno Chauvin, le directeur de l’hôpital, précise aussi que la fermeture de cette maternité “compliquerait l’accès aux IVG médicamenteuses nécessitant un manteau technique à proximité, capable de prendre en charge les complications”. Assurant la sécurité de l’enfant et de la mère, le directeur rappelle que “la maternité, ce n’est pas uniquement l’accouchement lui-même.” Selon lui, “la fermeture de maternités de moins de 1000 accouchements causeraient des catastrophes sanitaires et humanitaires.” 

Béatrice Blondel, directrice de recherche épidémiologiste de l’INSERM étudiant les maternités en milieu rural, écrit que « le risque d’accoucher hors maternité est très faible (inférieur à 0,5 %), mais plus élevé chez les femmes qui habitent à plus de 30 minutes de la maternité la plus proche, et ce risque est plus marqué pour les multipares« . Plusieurs études confirment et complètent cette idée, comme par exemple celle menée par Lucie Terrier, étudiante en médecine à l’université de Grenoble, qui affirmait en 2018 que “les patientes domiciliées à 30 minutes ou plus de l’Hôpital Couple Enfant (HCE) de Grenoble consultaient moins souvent les urgences en cours de grossesse et leur nouveau-né naissait plus souvent prématuré, avant 37 semaines d’aménorrhées”.
Ces conséquences seraient d’autant plus importantes pour les habitant·es de communes rurales en Nouvelle-Aquitaine. D’après nos données, 65% des maternités de la région qui pratiquent moins de 1000 accouchements par an sont situées dans un bassin de vie de type rural. Leurs fermetures causeraient un éloignement d’autant plus important pour ces habitant·es. 

L’allongement des temps de trajet domicile-maternité entraine alors directement une augmentation des risques liés à une grossesse pour les personnes vivant à plus de 30 minutes de leur lieu de prise en charge. Plus on habite loin, plus la grossesse est donc susceptible d’être compliquée. Le rapport de l’Académie de Médecine, censé limiter les risques pris par les petites maternités à cause de leur manque d’exercice, pourrait alors davantage mettre en danger les futurs parents et leur bébé, en accentuant le temps de trajet pour accéder aux soins. Laurence Bureau, sage-femme coordinatrice de la maternité d’Ussel, déplore d’ailleurs le nombre d’accouchements survenus avant d’arriver à la maternité, à cause de la distance : “L’année dernière, nous avons eu dix accouchements à domicile ou en voiture sur l’autoroute, c’est énorme et c’est un gros problème.

Autre conséquence de la fermeture des petites maternités : déjà rare (0,6% des accouchements, selon l’Insee), l’accouchement à domicile pour les personnes vivant à plus de 45 minutes d’une maternité serait rendu impossible. En effet, pour pouvoir bénéficier de soins lors d’un accouchement à domicile, il faut que la personne accouchant ait la possibilité de rallier un lieu de prise en charge en moins de 45 minutes, en cas de complications.

Pour savoir si vous seriez impacté·e par la réforme, tapez le nom de votre commune dans le moteur de recherche.

De nombreuses répercussions très spécifiques poussent Anne Évrard, co-présidente de la CIANE, à prôner le “cas par cas : maternité par maternité, et patiente par patiente”. Elle précise qu’une “maternité de 900 accouchements qui est au fond d’une vallée des Alpes ne connaît pas du tout les mêmes problématiques qu’une maternité de 900 accouchements qui est en région parisienne. Il faut aussi étudier les moyens de transports pour se rendre à une maternité : est-ce qu’il y a des transports en commun ? Est-ce que la mère possède une voiture ? Il faut faire une analyse en prenant en compte de nombreux éléments”.

Dispositif Engagement maternité : “Est-ce qu’une femme a vraiment envie d’aller à l’hôtel sans son conjoint ou sa conjointe, et prendre le risque d’accoucher seule ?

Pour pallier la fermeture des maternités, le Gouvernement français a mis en place le dispositif “Engagement maternité”. Entré en vigueur en avril 2022, il propose un “hébergement temporaire non médicalisé”, pendant les cinq jours avant le terme, à une femme sur le point d’accoucher qui habite à plus de quarante-cinq minutes en voiture de sa maternité. Ce dispositif prend aussi en charge les transports pour la personne enceinte, et aussi pour le conjoint ou la conjointe si cela ne modifie pas le coût global.

L’ARS Nouvelle-Aquitaine a imposé à “quarante-deux maternités d’ouvrir cet hébergement temporaire non médicalisé à destination des femmes enceintes”, explique Marie-Laure Beijas, cheffe de projet périnatalité dans l’agence. C’est le cas de la maternité d’Ussel, en Corrèze. Sur les cent-trente accouchements annuels de l’établissement, au moins trente femmes enceintes seraient susceptibles d’en bénéficier. Laurence Bureau, cadre sage-femme à la maternité d’Ussel, doute pourtant de son efficacité. Anne Evrard, co-présidente de la CIANE, partage son avis : “Est-ce qu’une femme a vraiment envie d’aller à l’hôtel sans son conjoint ou sa conjointe, et prendre le risque d’accoucher seule ?”, demande-t-elle. “C’est bien que ce dispositif existe, mais je ne pense pas qu’il sera considéré comme sécurisant pour toutes les femmes.”

Les patientes sont informées (trop) tard 

L’engagement maternité est encore très récent et peu connu du grand public. Mélanie est enceinte de sept mois et habite dans la petite commune d’Angoisse, en Dordogne. La jeune auxiliaire de vie attend son premier enfant, et sa grossesse est à risque. Elle n’ a pas d’autre choix que de se rendre dans une maternité de type 3. La plus proche se situe à une heure de son domicile. Mélanie pourrait donc avoir besoin du dispositif “engagement maternité”. Problème : à deux mois de son accouchement, elle n’en a jamais entendu parler.
C’est anormal”, s’indigne Anne Évrard. “Soit les soignants ne sont pas au courant de ce dispositif, soit ils vont donner cette information quand ils jugent que c’est nécessaire. La temporalité des patientes n’est pas forcément la même que celles des soignants”. Sauf que les patientes ont besoin d’anticiper et de s’organiser. Comme Mélanie, de nombreuses femmes domiciliées à plus de trente minutes en voiture de leurs maternités paniquent à l’idée d’accoucher sur la route.

Le rapport de l’Académie Nationale de Médecine est un miroir aux alouettes pour améliorer l’état des unités des maternités. Les maternités de Nouvelle-Aquitaine montrent que le seul facteur quantitatif ne suffit pas à déterminer la qualité d’une maternité de type 1, comptant moins de 1000 naissances par jour. La situation des personnes enceintes de Nouvelle-Aquitaine, vivant à plus de 45 minutes de leur lieu de prise en charge, montrent également que le rapport de l’Académie de Médecine préconise une mesure les mettant en difficulté et, surtout, en danger. L’accès au soin, déjà inégal, ne le sera que davantage si le gouvernement applique les conseils de l’Académie. “Nous n’allons pas suivre ce rapport parce qu’il n’est pas du tout adapté pour notre région”, assure sans hésitation Marie-Laure Beijas, cheffe de projet périnatalité à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. “Notre territoire est trop vaste”, explique-t-elle. Pourtant, Yves Ville, proche d’Emmanuel Macron, rencontrera prochainement le ministre de la santé François Braun pour évoquer les conclusions de son rapport. Fermer les petites maternités plutôt que leur allouer le budget suffisant pour perdurer, le choix serait politique. Les prochaines semaines nous diront si les restrictions budgétaires prendront, une nouvelle fois, le dessus.


Tova Bach @tova_bach

Lucile Coppalle @LucileCoppalle

Camille Hurcy @CamilleHurcy

Adam Lebert @adam_lebert

Isabelle Veloso Viera @Isabellevlv