Ces dernières décennies, l’égalité femme-homme en politique a connu de grosses avancées en France. Si le nombre de femmes parlementaires au sein de l’Assemblée nationale a augmenté, qu’en est-il de leur véritable influence ? Nous avons mené l’enquête.
“Les femmes en politique, ça ne devrait pas donner lieu à des rires ou des plaisanteries”. En date du 22 juin 1996, Simone Veil s’inquiétait déjà du combat que représentait l’entrée des femmes en politique. Même si les progrès ont depuis été considérables avec, par exemple, l’augmentation du nombre d’élues au Parlement et aujourd’hui une présidente de l’Assemblée et cinq vices présidentes sur six, il reste des améliorations à apporter. Un an après les élections de 2022, c’est l’occasion d’observer les activités de la 16ème mandature.
37,3% donc. La parité n’est pas atteinte mais qu’en est-il de l’assiduité, de la prise de parole, de la participation aux commissions et des fonctions au sein des instances ? Les députées ont-elles autant d’influence que leurs homologues masculins ?
L’Assemblée nationale, lieu de tous les combats
Nous avons d’abord analysé la moyenne du taux de participation des femmes et des hommes sur l’ensemble des votes en séances publiques qui est un indicateur d’assiduité. La différence n’est pas très importante, femmes comme hommes sont également assidu.es.
Mais lorsque l’on prête attention aux prises de parole, on constate qu’une femme s’exprime généralement moins qu’un homme. Depuis le début de la législature en juin 2022, une députée comptabilise en moyenne 125 interventions dans l’hémicycle, contre 175 pour un député. Et même en prenant en compte le déséquilibre numérique que présente l’Assemblée (62 % d’hommes contre 38 % de femmes), on retrouve des valeurs pondérées de 58 % de prises de paroles masculines et 42 % féminines.
D’autre part, sur les 30 député.es prenant le plus la parole au sein de l’hémicycle (en nombre d’interventions), seules trois sont des femmes : Sandra Regol (EELV), 18ème, Mathilde Panot (LFI), 19ème, et Sophia Chikirou (LFI), 24ème.
Qu’est ce qui justifie cette différence ? Plusieurs pistes d’explication : à l’Assemblée nationale, le placement des sièges joue un rôle important et crée des inégalités spatiales. Certains sièges ont une valeur politique plus importante que d’autres parce qu’ils sont placés à proximité d’un micro ou dans l’angle d’une caméra.
Ces emplacements sont attribués à chaque député.es par son chef de groupe. Pendant cinq ans, ils ne changeront plus de place. «Les présidents de chaque groupe choisissent souvent les emplacements proches des micros et des caméras, le long des allées, mais c’est à la tête de file du groupe de décider», selon le Palais Bourbon, cité dans une étude de Politiqu’elles sur la parité à l’Assemblée. Pour Sophie Mette, députée Modem de la 9ème circonscription de la Gironde, ”les représentants des partis prennent beaucoup plus la parole que les autres élu.es”.
Il est ainsi possible de classer les sièges en trois catégories, en se référant à l’étude de Politiqu’elles : places de “hautes, moyenne et faible valeurs” politique. En réunissant les places de faible et moyenne valeurs, 38,5% seraient des sièges appartenant à des femmes députées.
Le 16 février 2023, la député LFI Aurélie Trouvée a regretté dans l’hémicycle que les prises de paroles des femmes soient davantage chahutées que celles des hommes. Celles-ci regrettent les nombreuses remarques sur leurs voix, leurs tenues ou leur sexe lorsqu’elles prennent la parole. Des témoignages pourtant infirmés par la députée de Gironde du Rassemblement national, Edwige Diaz : “Dans la grande majorité tout le monde est très respectueux, les mentalités depuis dix ans ont bien évolué ”.
Nous avons analysé l’écart de prise de parole entre femmes et hommes lors des débats. Il en ressort que les hommes se permettent davantage de remarques spontanées (sans autorisation) que les femmes. Sur 100 interventions dites « courtes » (moins de 20 mots comptabilisés), 63% sont d’origine masculine, contre 37% féminine. Tandis que pour 100 prises de paroles « longues » (celles à l’ordre du jour ou accordées par la Présidente), on constate une certain rééquilibrage avec 55% des prises de paroles qui viennent des députés contre 45% pour les députées.
“Il y a différentes interprétations possibles. Cela s’expliquerait par le fait que les hommes ont plus de culot que les femmes qui ne s’imposeraient pas car elles sont davantage dans la retenue”, explique Janine Mossuz Lavau, politologue et sociologue ayant étudié les questions de genre et de politique.
En commission, un bilan mitigé
En début de législature puis chaque année, l’Assemblée nomme, sur la base de la représentation proportionnelle des groupes politiques et sur proposition de leurs présidents, les membres des commissions permanentes. Chaque commission désigne, pour la diriger, un bureau composé d’un président, de quatre vice-présidents et de quatre secrétaires. La composition du bureau de chaque commission fait en sorte de reproduire la configuration politique de l’Assemblée et d’assurer une représentation fidèle.
Organes de travail à la base du fonctionnement de l’Assemblée nationale, les commissions ont pour fonction principale de préparer le débat législatif en séance publique. L’importance de leur rôle a encore été renforcé récemment par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a permis que les textes débattus en séance publique soient ceux issus des travaux des commissions.
Nous avons analysé la place et le rôle des femmes dans les commissions.
Aujourd’hui, seules deux des huit commissions permanentes sont présidées par des femmes et ce, sur des portefeuilles que l’on pourrait considérer comme genrés, à savoir les affaires culturelles et sociales. “Spontanément, on les dirige vers la santé, l’écologie, l’éducation, l’aide sociale car il y a cette image qui perdure lié aux préjugés historiques”, analyse Janine Mossuz-Lavau.
Interrogé sur cette réalité, la député Modem Sophie Mette ne parle pas de positionnement forcé mais plutôt d’un choix de la part des femmes. En effet, chaque députée doit proposer trois préférences selon ses compétences. Elle est ensuite placée par son groupe dans une commission avec l’ambition qu’elle soit la plus performante possible. Ancienne directrice d’association, elle nous confie avoir choisi tout naturellement la commission affaire culturelle. Notons que ce champ là est assez large. Il comprend, entre autre, le sport et l’éducation.
Quoi qu’il en soit, les commissions semblent être un espace plus égalitaire que l’hémicycle, avec une participation des femmes de l’ordre de 47%. Toutefois il existe un écart significatif quand on se penche sur l’âge des élu.es. Plus elles sont jeunes, moins elles sont dirigées vers les commissions qui concentrent le plus de pouvoir comme les affaires économiques, les finances ou encore les affaires étrangères. En revanche, on y retrouve un nombre plus important de jeunes hommes.
Même constat quand on étudie les postes occupés. Actuellement, trois présidents de commission sur huit sont des hommes dont l’âge avoisine les 35 ans. Sur l’ensemble des commissions, il y aurait trois fois moins de femmes de moins de 35 ans que d’hommes, soit seulement 5 contre 15 hommes.
Pour pallier ce manque de parité, des recommandations ont été effectuées par le Haut Conseil à l’égalité dans un rapport publié le 12 décembre 2022. Il préconise notamment de changer le mode de scrutin lors des élections législatives en imposant un scrutin binominal.
Serait-il possible d’atteindre la parité à l’avenir et pas uniquement en nombre de sièges ? “ On n’efface pas comme ça des siècles de formatage, mais ça change. Je vois des hommes et des femmes politiques qui se ressemblent de plus en plus. On va vers l’indifférenciation, où hommes et femmes peuvent tenir de manière interchangeable les mêmes rôles”, confie Janine Mossuz-Lavau.
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