Quatre ans après la Coupe du monde organisée en France, le football féminin a-t-il suivi l’évolution qu’on lui prédisait dans le pays ? La promesse de développement du sport n’est pas tenue, et l’engouement de 2019 s’est essoufflé. Enquête.

“Installer définitivement la pratique féminine dans le paysage du football français”. Tel était l’objectif annoncé par Frédérique Jossinet, directrice du football féminin à la Fédération Française de Football, en amont du mondial. Un défi de taille qui va de paire avec l’importance de la compétition pour la FFF. La Coupe du monde de 2019 incarnait la promesse d’évolution de la place du football féminin pour la fédération. 

Quatre ans plus tard, à l’aube d’un mondial australo-néo-zélandais toujours sans diffuseur en France, l’engouement autour du football féminin dans l’hexagone est retombé. La visibilité, l’affluence ou encore le nombre de pratiquantes confirment cette tendance, surtout depuis la pandémie de Covid-19. Dépassée, la fédération tente de réagir. Certainement trop tard.

La France pionnière, puis dépassée

L’année 2018 est l’année de tous les records pour le plus haut niveau du football féminin français, la D1 Arkema. Canal débloque six millions d’euros et s’octroie  les droits de diffusion du championnat pour les cinq saisons suivantes. À l’époque, ce contrat est le plus élevé pour un championnat féminin en Europe. Il s’achève à la fin de l’exercice actuel, en juin prochain. 

Aujourd’hui, la France est dépassée par ses voisins. L’appel d’offres pour la période 2023-2027 est en cours. La Fédération espère un montant en hausse par rapport à 2018, pour tenter de se rapprocher de ce qui se fait en Espagne ou en Angleterre depuis deux ans. 

“En Angleterre et en Espagne, les médias parlent du championnat, dédient des émissions au football féminin, contrairement à la France. Le pays doit se donner les moyens de ses ambitions”, explique Alexander Prieto, consultant et analyste en Espagne. 


Depuis 2018, tous les matchs sont diffusés sur les chaînes du groupe Canal. Mais cette généralisation de la diffusion n’a pas amélioré les conditions de retransmission dans tous les stades. Les infrastructures dans lesquelles évoluent les filles ne sont pas toujours adaptées à la diffusion TV. Les téléspectateur·rices doivent souvent se contenter d’une caméra unique pendant 90 minutes.

Or, la manière de capter l’action sur le terrain influence la perception du public. Une mauvaise captation donne la sensation d’une faible qualité de jeu, et n’encourage pas le public à se déplacer. “Personne ne vient car personne n’a envie de voir de matchs dans les stades où l’on joue. Les gens auraient pu se déplacer après la Coupe du monde, si les bonnes conditions d’accueil avaient été mises en place” raconte Julie Thibaud, défenseure centrale aux Girondines de Bordeaux. 


Daniel Marques est journaliste, spécialisé dans le football féminin depuis plus de 10 ans. Selon lui, la période autour de la coupe du monde ressemble plus à une effervescence qu’une révolution : “sur le temps de la compétition, la fédération a tenté de faire de la communication en plus, de mettre en valeur le produit, de le pousser au maximum, sauf que les investissements n’ont pas été réalisés là où il le fallait. Il n’y a pas eu plus de monde en charge du football féminin à la fédération par exemple, de même dans les clubs”.

Derrière Lyon et Paris, des affluences à la peine

Le samedi 16 novembre 2019, les Lyonnaises s’imposent face au PSG devant 30 661 personnes réunies au Groupama Stadium de Lyon. Quelques mois après la Coupe du monde, cette affluence record était un bon signe. Le coronavirus est venu couper net cet élan, qui n’a pas été retrouvé depuis. Les chiffres d’affluence et de fréquentations des stades féminins connaissent une stagnation depuis deux ans, tandis que les deux cadors du championnat sont toujours les équipes qui attirent le plus de spectateur·rices.

“La fédération s’est dit que les choses allaient se faire seules après la Coupe du monde. Il aurait fallu mieux structurer le tout pour poursuivre dans cette direction”, précise Julie Thibaud, pour qui ce manque de moyens mis en place par la FFF peut expliquer un faible retour dans les stades suite à la pandémie. “Elle s’est contentée de ce qu’on avait déjà, c’est-à-dire des clubs comme Lyon et le PSG au top dans les classements européens.”


Depuis 2019, les joueuses lèvent la voix pour dénoncer un certain laxisme de la FFF dans la gestion du championnat. Daniel Marques évoque “des moyens qui n’ont pas évolué pour les clubs. Les infrastructures n’ont pas été améliorées, le produit a stagné”.

“Nous les joueuses, ça fait longtemps qu’on tire la sonnette d’alarme sur la qualité des terrains, de la retransmission, ajoute Julie Thibaud. En équipe nationale notamment, il a fallu que certaines joueuses se retirent de la sélection pour obtenir le départ de Corinne Diacre.” Un épisode inédit pour le football français.

L’importance de l’équipe de France 

L’image de l’équipe de France joue pour beaucoup dans le progrès du football féminin. Malgré des résultats corrects, l’équipe entraînée par Corinne Diacre payait sa mauvaise image, notamment causée par des mauvaises relations entre la sélectionneuse et ses joueuses. Selon Alexander Prieto, l’arrivée récente de Hervé Renard au poste d’entraîneur des Bleues sera bénéfique. “Il arrive toujours à insuffler une dynamique particulière à ses équipes. Notamment avant les grandes compétitions. Il va faire avancer cette équipe, sur et en dehors du terrain. C’est un entraîneur sympathique, qui donne envie de s’intéresser à l’équipe.”


Julie Thibaud craint que le retard accumulé depuis 2019 sur les voisins européens ne soit pas rattrapable. “Ce que je redoute maintenant, c’est que les joueuses partent du championnat.” Une volonté de départ qui se vérifie dans les chiffres. Depuis 2015, le nombre d’internationales françaises qui évoluent à l’étranger est en hausse, par intérêt sportif, ou par volonté d’être mieux considérée. “Elles n’ont pas envie de rester en France, pas seulement à cause des infrastructures ou de la fédération, mais aussi pour la mentalité qui entoure le football féminin. Les gens en dehors du club ne te considèrent pas comme une athlète, notre pratique est toujours remise en question en France.”

C’est un gâchis, raconte la joueuse de l’équipe de France. Il y avait une belle émulation au moment de la Coupe du monde et il n’y a eu aucun effet positif derrière. En France, on a longtemps été les meilleures. Mais la fédération a attendu de se faire rattraper pour réagir. Il faut faire le maximum pour rester les meilleures.”

Un impact à tous les niveaux  

Le football amateur féminin subit aussi cette baisse d’intérêt. La FFF défendait pourtant il y a quelques années le développement du sport à tous les niveaux. En 2015, Noël le Graët souhaitait voir le nombre de licenciées atteindre 300 000 à l’horizon 2024. Elles sont aujourd’hui 220 000, loin de l’objectif. Les licenciées ne sont d’ailleurs pas toutes joueuses. La courbe d’évolution des pratiquantes suit le même modèle que celui de l’affluence dans les stades.

Au Bordeaux Etudiants Club, il n’y a cette année pas suffisamment de licenciées pour ouvrir des sections jeunes dans toutes les catégories. Pour Vincent Gay, nouveau président du BEC, “si on ne travaille pas par le bas, le football féminin ne progressera pas, ou du moins pas sur la durée et de façon stable. C’est difficile de promouvoir un sport et d’intéresser des joueuses si il n’y a pas les moyens de les faire jouer”.


Le résultat d’une politique concernant le football féminin construite à l’envers ? La FFF s’est longtemps appuyée sur la réussite continentale de l’Olympique Lyonnais, huit Ligue des champions depuis 2011, un record, afin d’attirer les meilleures joueuses dans le championnat. La Coupe du monde 2019 rentre dans cette stratégie qui consiste à donner de la visibilité à l’international pour développer la pratique, tout comme la candidature à l’organisation de l’Euro 2025. La tentative s’est soldée par un échec, l’UEFA ayant notamment été refroidie par les récentes affaires de la FFF.

Une réforme à deux visages 

Pour redynamiser le championnat, la FFF a présenté le 13 avril dernier un plan de développement du football féminin de haut niveau en France. Celui-ci se base sur la professionnalisation des joueuses, le développement des structures de formation ou encore sur la refonte du système des trois premières divisions.

Cette réforme pourrait comporter son lot de bénéfices pour une meilleure structuration des sections féminines : “les licences “clubs” demandées sont intéressantes car elles obligent les clubs à disposer d’un minimum de staff technique ». Fini les équipes en effectif réduit, maintenant il y aura au moins un analyste vidéo, un adjoint, un préparateur physique. “Ce qui n’était pas forcément la règle avant” analyse Daniel Marques.

Néanmoins, cette réforme ne fait pas que des heureux·ses. Pour Alexander Prieto, le nouveau système ne va faire qu’accroître les disparités entre les clubs stables et les autres. “Le vrai problème de cette réforme, c’est qu’elle délaisse complètement le football féminin amateur. Cela va resserrer le niveau vers le haut, et creuser un écart avec les clubs d’en bas, notamment à cause de l’arrivée des réserves des équipes professionnelles en D3. Les clubs avec de l’argent et une bonne structure vont se maintenir, aux dépens des autres qui ne feront plus le poids.”

Un système économique sous perfusion 

Soyaux, dernier club de l’élite indépendant d’une section masculine, sera relégué en fin de saison. Le club a frôlé la relégation administrative à plusieurs reprises les années précédentes, et cette nouvelle donne pourrait entraîner un dépôt de bilan. Ce nouveau système ne va pas faciliter la vie des petits clubs, dépassés financièrement par des structures professionnelles. 

Le foot féminin ce n’est pas la priorité, ils ne voient pas encore l’intérêt d’investir.

Julie Thibaud, défenseure aux Girondines de Bordeaux.

Le modèle économique des clubs sera le principal défi dans les années futures : « il faudra réfléchir à rendre les sections féminines plus indépendantes des revenus masculins pour pérenniser la D1 Arkema », constate Daniel Marques. Les rentrées d’argent sont peu nombreuses dans le football féminin. La billetterie rapporte peu, les droits TV sont faibles. “Les budgets restent dépendants de leurs homologues masculins lorsque la section féminine est comprise au sein d’un club professionnel, poursuit le journaliste. Quand il s’agit de réduire les coûts, ce sont les féminines qui en subissent les conséquences.” 

Julie Thibaud ne peut que confirmer ce propos : “À Bordeaux les propriétaires ont changé en 2021. Le foot féminin ce n’est pas la priorité, ils ne voient pas encore l’intérêt d’investir. On dépend des garçons. S’ils montent en Ligue 1, les filles auront plus de moyens. Ça ne devrait pas être comme ça”. 

“Il faut garder à l’esprit que le football féminin ne doit pas se retrouver dans un entre-deux, avertit Daniel Marques. Ce sport doit rester accessible au grand public pour se développer.” Si la FFF a planifié une restructuration du plus haut niveau, elle ne doit pas pour autant oublier la fidélisation du public et le développement du football amateur. Pour faire repartir de l’avant l’attractivité du football féminin en France, la discipline doit avant tout s’appuyer sur sa base, pour ne pas s’effondrer tel un colosse aux pieds d’argile.

Vincent GRILLON @VincentGrlln_

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