Coulisses de l’enquête sur l’inégal accès aux soins dans les maternités en Nouvelle-Aquitaine

Notre enquête se dessine à partir d’un constat. Partout en France, des maternités ferment par manque de moyens et de personnels soignants. En France métropolitaine, les maternités ont presque diminué de moitié en 25 ans, selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES). Relevant 814 établissements en 1996, ils n’étaient plus que 456 en 2021. De quoi possiblement impacter le déroulement de l’accouchement chez les personnes enceintes. Celles habitant dans des zones rurales font face à un stress supplémentaire : devoir accoucher dans une maternité éloignée, voire très éloignée de chez elles. Nous avons enquêté pour comprendre l’inégal accès aux soins dans les maternités, à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine.

Tout commence avec Chloé …

Il nous fallait alors prouver (ou infirmer) que les femmes néo-aquitaines n’ont pas toutes accès équitablement aux maternités et aux soins dont elles ont besoin. Pour comprendre les craintes qui les accompagnent lors de leur grossesse, nous avons souhaité les interroger. Chloé, une future maman habitant à Lesparre-Médoc, a répondu à l’un de nos appels à témoignage. Elle ne réside qu’à 300 mètres d’une maternité. Pourtant, convaincue du manque d’obstétriciens à la maternité de Lesparre-Médoc, elle affirme qu’elle n’a pas d’autre choix que de prévoir le terme de sa grossesse à l’hôpital Pellegrin à Bordeaux, situé à plus d’une heure de chez elle.

Face à ce constat, nous avons alors isolé une problématique : dans quelles maternités les femmes vivant en zone rurale peuvent accoucher ? Se posent alors les hypothèses suivantes :

  • Les maternités de type 1 sont plus représentées dans les zones rurales.
  • Si les maternités de type 1, qui effectuent moins de 1000 accouchements par an, venaient à être fermées partiellement, comme le préconise un rapport de l’Académie Nationale de Médecine publié le 28 février 2023, cela aurait pour conséquence d’augmenter le temps de trajet entre une commune de milieu rural et sa maternité la plus proche.
  • Le dispositif « Engagement maternité » n’est pas accessible pour toutes les personnes enceintes concernées.

8 jeux de données

Pour comprendre quelles maternités étaient en tension en Nouvelle-Aquitaine, il nous fallait faire un état des lieux de celles-ci, comprendre leur type (1, 2a, 2b ou 3) ainsi que le nombre d’accouchements qui y ont lieu chaque année.

Les maternités de type 1 sont les plus courantes, ce sont celles qui accueillent les personnes enceintes dont les grossesses ne présentent pas de risque. Notre but était de cibler les maternités de type 1 dont le nombre d’accouchements effectués était inférieur à 1000 pour projeter ce que le suivi, par le Gouvernement, des recommandations de l’Académie nationale de médecine entraînerait. Nous avons alors récupéré les données de l’INSEE, de l’INSERM, de la Drees et du RPNA* pour fixer un état des lieux actuel des maternités en Nouvelle-Aquitaine. Nous avons pu évaluer que la région Nouvelle-Aquitaine comptait 43 maternités en 2021, dont 16 étaient des maternités de type 1 qui avaient effectué moins de 1000 accouchements cette même année.

Nous avons ensuite eu accès à des données chiffrées sur le temps d’accès médian aux maternités et sur les communes établies à plus de 45 minutes de la maternité la plus proche. Données qui provenaient respectivement de la Drees et de la DGOS.

Les tableaux récupérés étant déjà complets et bien structurés, le plus gros du travail consistait à fusionner les données dans un nouveau tableau.

Travail sur les jeux de données

Dans un premier temps, pour évaluer le type de bassin de vie où était le plus situé les maternités de type 1 avec moins de 1000 accouchements par an, nous avons associé les communes dans lesquelles étaient ces mêmes maternités avec les données de l’INSEE issues de leur étude “Des bassins de vie ruraux moins équipés en services intermédiaires et supérieurs”. À partir de là, nous avons pu confirmer notre première hypothèse en établissant qu’environ 65% des maternités de type 1 avec moins de 1000 accouchements par an étaient situées dans un bassin de vie de type rural.

Dans un second temps, l’objectif était de connaître les temps de trajet entre une commune et sa maternité la plus proche avant et après la réforme proposée par l’Académie nationale de médecine. Nous avons alors créé une carte projective.

Carte projective n°1

Pour la carte projective, nous avons utilisé le logiciel de cartographie “QGIS”. Dans QGIS, nous avons commencé par importer le fichier géo-localisé de toutes les maternités de France, qui a été constitué par la Drees. Sur ce fichier, nous avons ajouté la cartographie des contours des communes de Nouvelle-Aquitaine, récupérée sur “opendatasoft” et qui sont des données de l’INSEE et de l’IGN.

La première étape de croisement de ces données a été de calculer la liaison la plus directe entre une commune, représentée par un polygone, et le point de la maternité la plus proche. Pour calculer ce trajet, nous avons utilisé une extension de QGIS, qui s’appelle “MMQGIS” et qui nous permet d’utiliser la fonction “Hub Lines / Distance”. Ce premier traitement a été exporté en format excel. Le fichier excel comportait les données des communes et un numéro d’identifiant de la maternité lié à la commune (théoriquement la plus proche, à vol d’oiseau).

Traitement exporté en format excel

La deuxième étape était de refaire la même chose mais uniquement avec les maternités maintenues après application de la réforme proposée par l’Académie nationale de médecine. Même résultat que précédemment : un nouveau fichier excel, avec les données des communes et le numéro d’identifiant de la maternité liée à la commune.

avant la réforme
Chaque point correspond à une maternité.
Après La réforme

La troisième étape se situe, elle, dans le tableur, où se trouvent les communes et les identifiants des maternité les plus proches avant réforme et après réforme. L’objectif : regarder si les identifiants des maternités ont changé. Si tel est le cas, c’est que la maternité la plus proche n’est plus la même. De là, nous avons pu calculer les distances kilométriques entre une commune et la maternité la plus proche avant et après réforme.

Exemple de changement d’identifiant de maternité

Tableau croisé dynamique

Nous avons également créé deux tableaux croisés dynamiques pour calculer quels seraient les départements les plus impactés par la réforme, avec en ligne le nom des départements, en colonne le fait de savoir si la maternité la plus proche d’une commune changerait ou non avec la réforme, et en valeurs la moyenne des distances avant réforme puis les distances après réforme.

Tableaux croisés dynamiques

À partir de là, nous avons isolé les colonnes des communes qui changeraient de maternité la réforme et nous avons calculé l’écart entre la distance avant réforme et la distance après réforme pour créer une infographie capable de montrer que les recommandations de l’Académie nationale de médecine augmenteraient le temps de trajet pour accoucher dans une maternité de Nouvelle-Aquitaine. De quoi confirmer notre deuxième hypothèse.

Carte projective n°2

Nous avons ensuite voulu générer une carte sur les territoires néo-aquitains à plus de 45 minutes de la maternité la plus proche après application de la réforme proposée par l’Académie nationale de médecine. Pour cela, nous avons pris uniquement les maternités maintenues après application de la réforme. En utilisant l’extension HQGIS, qui comporte une fonction “Isochrone”, nous avons pu calculer la zone accessible autour d’un point en fonction d’un mode de déplacement (en l’occurrence la voiture) et d’une durée théorique de trajet (en l’occurrence 45 minutes). Le résultat de cet “Isochrone” : le dessin d’un polygone des zones accessibles à 45 minutes d’une maternité en voiture. De là, nous avons pu croiser la couche des communes avec cette première couche des zones accessibles des territoires en 45 minutes, et ainsi sélectionner les communes qui ne se superposent pas. L’objectif : voir les communes qui étaient à plus de 45 minutes d’une maternité, donc hors des polygones générés par “Isochrone”. À partir de cette sélection, nous avons généré un fichier géographique “GEOJSON” des territoires à plus de 45 minutes des maternités que nous avons importé dans une cartographie sur Datawrapper.

Ces cartes restent des modélisations théoriques utiles mais imparfaites, les trajets étant calculés en ligne droite. Par exemple, la maternité la plus proche à vol d’oiseau d’une commune pouvait être de l’autre côté de l’estuaire de la Gironde, alors même que la distance est beaucoup plus élevée si la voiture est le moyen de transport utilisé.

Moteur de recherche

Concernant le moteur de recherche qui permet à tout utilisateur d’entrer le nom de sa commune et de voir sa maternité la plus proche avant et après réforme, nous avons utilisé le même fichier excel que celui exploité pour les cartes projectives.

Il existe également un biais : entre les fermetures temporaires et celles définitives, il se peut que notre moteur de recherche contienne, à la marge, des maternités qui sont actuellement fermées.

Travail de terrain

Comprendre le fonctionnement des maternités, les chiffrer et déceler leur manque d’accessibilité serait vain sans l’intervention de celles et ceux qui font vivre ces établissements. En parallèle du travail sur les données, les rédactrices ont alors démarché toutes les maternités de type 1 de la Nouvelle-Aquitaine dans le but de connaître leur situation actuelle, si elles craignaient une suite du rapport de l’Académie de médecine voire même une fermeture partielle. C’est en appelant les 16 maternités néo-aquitaines qui seraient visées par ce rapport, que nous avons été en contact avec les coordinatrices des établissements de Lesparre-Médoc, Villeneuve-sur-Lot, Châtellerault, Marmande et Ussel.

À bout d’espoir, Adam a tout donné pour récupérer Chloé…
Mercredi matin, tandis que l’enquête de l’équipe éditoriale se poursuivait, nous faisions face au plus gros problème de la semaine : Chloé a retourné sa veste. 
En contact depuis lundi avec la jeune femme qui avait accepté de témoigner, Adam ne la lâchait plus. Et pourtant, malgré ses relances récurrentes, son irrésistible envie de l’écouter et de partager les questions que Chloé se pose, Adam a dû faire face au terrible phénomène du « ghosting ». Dépité, Adam a fini par refiler l’affaire à Isabelle qui a essuyé le même échec.
Nous n’avons jamais pu reparler à Chloé.

Une fois le travail du jeu de données terminé, il nous fallait confronter nos hésitations à des expert·es, car nous relevions certaines incohérences avec le dispositif « Engagement Maternité », notamment sur le fait que plusieurs femmes habitant à plus de 45 minutes de leur maternité n’étaient pas au courant qu’elles pouvaient en bénéficier. Ce fut chose faite.

Notre vieille informelle nous a également permis de trouver les dernières informations dont nous avions besoin pour construire notre enquête.

Sources (citations marquées par un astérisque*): 

Les données data : 

Tableau de données récoltées sur les maternités à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine au cours de la semaine 

Autre source : 

Intervenant·es : 

–       Chloé Simonneau, 25 ans, future maman résidant à Lesparre-Médoc

–       Mélanie Combrouze, future maman habitant à Angoisse

–       Bruno Chauvin, directeur de l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot

–       Laurence Bureau, cadre sage femme de Ussel

–      Emmanuelle Gielautpaul : coordinatrice de la maternité de l’hôpital de Chatelleraut 

–      Christine Bouffaard : cadre de la maternité de Lesparre-Médoc

–    Marie-Laure Beijas : cheffe de projet prénitalité ARS Nouvelle-Aquitaine

–    Anne Evrard : co-présidente de la Ciane

L’équipe : 

–       Référente de rédaction : Camille Hurcy

–       Coordinatrice terrain : Tova Bach

–       Rédactrice : Lucile Coppalle

–       Référent·es Data : Isabelle Vieira, Adam Lebert 

De gauche à droite : Tova Bach, Camille Hurcy, Adam Lebert, Isabelle Vieira, Lucile Coppalle