Les coulisses sous forme de podcast
La méthode data
Pour cette enquête, nous avons choisi de nous pencher sur les différences d’application de la loi Egalim, qui impose le repas végétarien hebdomadaire dans toutes les cantines scolaires. Aussi, nous voulions étudier l’effet que cette loi avait pu avoir. Pour ce faire, nous avons organisé notre réflexion de cette manière :
1– La loi Egalim est-elle réellement appliquée ?
- Sinon : pourquoi ?
- Si oui, comment ? (étude qualitative)
2– Aussi, la loi a-t-elle changé quelque chose ? Avec la nécessité de faire une étude comparative entre la période pré-Egalim et la période post-Egalim.
Nous avons procédé par étapes :
1 – La loi Egalim est-elle réellement appliquée ?
Pour établir la fréquence de menus végétariens uniques servis par semaine, nous avons d’abord décidé d’un échantillon à étudier, puis nous avons consulté les menus de chacune des 107 communes constituant notre échantillon.
Nous avons choisi de nous concentrer sur la période maximale allant du 1er janvier 2023 à la date de publication de l’enquête, soit le vendredi 28 avril 2023.
Nous avons systématiquement choisi de compter les menus sur la période la plus longue période fournie par la mairie, dans un souci d’exactitude.
Lorsque nous n’avons pas trouvé le menu de la cantine de la commune, nous avons essayé de la contacter – parfois en vain. Les données sont dans ce cas considérées comme “non communiquées”.
Nous avons compté le nombre de semaines étudiées puis le nombre de repas végétariens exclusifs par semaine pour établir la fréquence. Et ce, pour chacune des communes.
Ex : Arcachon, 4 semaines, 7 repas végétariens exclusifs, fréquence : 1,8
Analyse
Voici nos résultats :
Nous avons vu que même si une grande majorité des communes respectait la loi (67%), il existait quelques exceptions qui confirmait notre hypothèse d’une inégale application de la loi.
Ainsi, nous avons voulu creuser : qu’est-ce qui peut amener une commune à respecter, ou ne pas respecter l’application du repas végétarien hebdomadaire ? Avec 3 hypothèses :
L’application de la loi Egalim peut varier en fonction de :
L’orientation politique de la mairie : plus une mairie serait de gauche, plus elle aurait tendance à appliquer la loi.
Son niveau de richesse : plus une commune serait riche, plus elle aurait de moyens pour faire appliquer la loi.
Le mode de gestion (privé ou public) de la cantine : plus une mairie aurait la main sur la gestion de la cantine (public), plus elle aurait tendance à proposer des repas de qualité, et donc, de respecter la loi.
Pour tester ces trois hypothèses, il nous fallait récolter pour chacune des 107 communes de notre échantillon girondin :
- L’orientation politique de la mairie.
- Le niveau de vie médian de la commune – à partir des données de l’INSEE.
- La fréquence de repas végétariens obligatoires par semaine – en d’autres termes la conformité, ou non, à la loi Egalim.
POURQUOI 107 COMMUNES ? N’ayant ni le temps ni la main d’œuvre nécessaire pour constituer une base de données regroupant toutes les communes de Gironde, nous avons choisi de reprendre les communes desquelles l’ONG GreenPeace s’était rapprochée en 2018. L’ONG a réalisé en 2018 une enquête nationale sur la quantité et la qualité des plats végétariens et carnés dans les cantines élémentaires de France en 2018. En Gironde, 107 communes ont été référencées. Pour étudier l’évolution de la présence de plats végétariens dans les cantines girondines entre 2018, 2020 (actualisation par GreenPeace de leur enquête de 2018) et 2023, nous avons choisi d’analyser ces 107 mêmes communes. |
Nous avons procédé de cette manière :
Récolte de données
Orientation politique de la mairie | Niveau de vie médian de la commune | Mode de gestion (public ou privé) |
Une base de données du Ministère de l’Intérieur recense les couleurs politiques de chaque commune française (1). Après avoir isolé les seules communes de notre échantillon, nous avons établi une classification – gauche/droite/centre en fonction des partis politiques de chaque mairie (10) Ainsi, nous avons pu attribuer à chaque commune une couleur politique.Ex : Arcachon – Droite | Nous avons utilisé une base de données de l’INSEE recensant les communes de France et pour chacune leur revenu médian, indicateur du niveau de vie de la commune (3). Puis, nous avons suivi une typologie des niveaux de vie, établie par l’INSEE, allant de 1 à 6 (11). Ainsi, nous avons établi cette correspondance : Score -> Niveau de vie (€) 1 -> de 20 000 2 -> entre 20 000 et 21 000 3 -> entre 21 000 et 22 500 4 -> Entre 22 500 et 23 500 5 -> Entre 23 500 et 27 500 6 -> Plus de 27 500 Ainsi, nous avons pu attribuer pour chaque commune un niveau de vie. Ex : Arcachon – 5 | Pour déterminer le mode de gestion (public ou privé) des cantines de chaque commune, nous avons consulté les sites internet de chacune. Lorsqu’il était précisé que la cantine était gérée par la commune, était entré dans le tableau “public” Lorsqu’il était précisé que la cantine était gérée par une entreprise sous-traitante, était entré dans le tableau “privé”, suivi du nom de l’entreprise. |
Voici un petit aperçu de ce à quoi ressemble notre tableau, après la récolte des données :
La base donnée complète est disponible en annexe (6)
Analyse
Avec ces données récoltées, nous avons pu établir des tableaux croisés dynamiques, afin d’infirmer ou confirmer nos hypothèses de départ (11).
Ce que l’on a pu voir, c’est :
- qu’il n’y a pas de lien évident entre la couleur politique de la mairie et la fréquence de repas végétarien dans la cantine.
- qu’il n’y a pas de lien évident entre le niveau de vie de la commune et la fréquence de repas végétarien dans la cantine.
- qu’il n’y a pas de lien évident entre le mode de gestion de la cantine et la fréquence de repas végétarien dans la cantine.
2. La loi a-t-elle eu un effet ?
Pour évaluer les effets de la loi Egalim, il nous fallait comparer les données de 2023 avec des données plus anciennes. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur deux bases de données produites par l’association Greenpeace : l’une datant de 2017-2018, l’autre de 2020.
2017-2018
Récolter, nettoyer
La première base de données, – celle 2017-2018 – nous avons pu la récupérer sous forme de tableur excel sur data.gouv. (5). Cette base de données est le résultat de l’enquête nationale de GreenPeace portant sur la quantité et la qualité des plats végétariens et carnés dans cantines élémentaires de France en 2018.
Pour établir cette base de données, GreenPeace a demandé aux parents d’élèves (sur base de volontariat) de renseigner sur la période souhaitée le menu de leur enfant à la cantine. Chaque contribution doit spécifier :
- les dates de début et de fin de la contribution
- le nombre de jours où l’enfant mange à la cantine dans une semaine
- le nombre d’occurrence de menus végétarien obligatoire sur la totalité de la période renseignée – dans ce cas-là il fallait détailler le menu et la date de sa présence.
- le nombre d’occurrence d’une alternative végétarienne à un menu carné, auquel cas il fallait détailler le menu alternatif et la date de sa présence.
- le nombre d’occurrence de menu carné, avec un détail sur la provenance de la viande (Bio ou non).
Nettoyage
Première difficulté pour cette base de données : Il y a plusieurs contributions (une par réponse au questionnaire) par commune et chaque contribution est présente plusieurs fois (une ligne pour chaque menu végétarien compté dans la contribution).
Mais pour calculer le nombre moyen de plats végétariens exclusifs par semaine par commune, il ne faut pas comptabiliser plusieurs fois le même repas pour une même commune.
Donc, nous avons procédé de cette manière pour obtenir notre base de données finale :
- suppression des données inutiles, à savoir :
- le nombre de menus végétariens alternatifs et leur description
- le nombre de menus carnés
- la description des menus exclusivement végétarien
- Suppression des contributions débutant en 2017 (on se concentre sur 2018) et les contributions trop longues (car paraissent mal renseignées)
- Calcul du nombre de semaine de contribution pour chaque contribution
- Suppression des contributions trop courtes (moins d’une semaine de contribution)
- Suppression des doublons du même plat végétarien pour la même ville
- Calcul de la fréquence hebdomadaire de plats végétariens pour chaque contribution de chaque ville
- Calcul de la moyenne hebdomadaire de plats végétariens exclusifs par commune.
- Ajout du niveau de vie de chaque commune et la couleur politique de la mairie
Notre base de données 2017-2018, complète et nettoyée est à retrouver en annexe (6).
Analyse
Voici les résultats auxquels nous sommes parvenus :
En 2018, sur 58 communes étudiées, 54 ne proposaient pas au moins un repas végétarien exclusif par semaine (sans alternative carnée), et 4 d’entre elles le faisaient déjà.
2020
Pour créer la base de données de l’année 2020, nous avons procédé autrement : la deuxième enquête de Greenpeace – sur laquelle on s’appuie – n’est malheureusement pas disponible en accès libre sur data.gouv. Nous sommes alors partis de la visualisation finale de l’enquête Greenpeace (4), et nous avons rentré manuellement les données des communes qui nous intéressaient – celles de notre échantillon de 107 communes – dans un tableur excel.
Commune par commune, nous avons complété les champs suivants : “Commune”, “fréquence de repas végétariens” et “fréquence d’options végétariennes”.
Par exemple dans ce cas, la donnée à insérer dans la base est la suivante : Lacanau – fréquence de repas végétarien unique : 1,0 – fréquence d’option/alternative végétarienne : 0,5
La base de donnée complétée, pour l’année 2020 est à retrouver en annexe (7)
A partir de là, nous avions 3 bases de données comparables :
- l’une pour la période 2017-2018 (6)
- l’une pour la période 2020 (7)
- l’une pour la période 2023 (8)
Analyse des données :
Nous avons pu constater cette évolution:
Pour la période 2017-2018, on observe que sur les 54 communes qui ne proposaient pas de repas végétarien exclusif hebdomadaire, 46 le proposent en 2023 (85,2%)
Analyse Qualitative
Une fois établi que la plupart des communes, en 2023, respectent l’impératif d’un repas végétarien par semaine, nous voulions analyser la qualité de ces repas.
Certes, la loi est respectée majoritairement, mais comment est-elle appliquée réellement ? Les repas végétariens remplissent-ils les critères de qualité nutritive ?
Pour cela, nous avons recensé manuellement – encore une fois – le dernier repas végétarien servi dans chacune des 107 communes de notre échantillon, pour l’analyser.
Puis, selon une typologie du ministère de l’Agriculture, nous avons pu classer chaque repas dans l’une de ces catégories :
- Repas sans aucune protéine
- Repas avec protéine mais sans légume
- Repas avec protéines et légumes, et où la protéine est soit
- une protéine végétale (hors soja)
- De l’oeuf
- Du fromage
- Du soja
- Un produit transformé
Voici les résultats obtenus :
Parmi les 91 plats végétariens étudiés, 73 comportent des protéines, 5 n’ont pas d’apport en protéines. Pour 13 d’entre eux, nous n’avons pas pu déterminer la composition.
Dans les plats protéinés, on retrouve plus souvent des protéines d’origine animale (oeuf, fromage) que des protéines végétales.
Visualisation
Une première infographie présente les résultats de notre base de données 2023. On y voit la proportion de communes respectant – ou pas – la loi Egalim
Après avoir récolté les données des fréquences de repas végétariens pour les trois périodes, nous avons créé une carte permettant de visualiser l’évolution de l’application de la loi, avec 3 onglets : un pour 2018, un pour 2020 et un pour 2023.
Une autre infographie présente les résultats de l’enquête qualitative portant sur la qualité des résultats végétariens. On y voit la part prépondérante de protéines d’origine animale (lait, oeuf) dans les menus.
Zoé Moreau
Lucas Zaï–Gillot
Sources
1. Résultats des municipales 2014 : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Municipales/elecresult__MN2014/(path)/MN2014/033/033L.html
2. Résultats municipales 2020 : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Municipales/elecresult__municipales-2020/(path)/municipales-2020/index.html
3. Niveau de vie médian par commune, en 2018 et et 2020, INSEE
4. Enquête GreenPeace 2020 : https://www.greenpeace.fr/aumenudescantines/villes/lacanau-33214)
5. Données de l’enquête Greenpeace 2017-2018 : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1QA2RFIIGvHVIYCe6zEQUUxUa4EfpK_o_eYfRAcyU1Rw/edit?usp=sharing
Nos bases de données :
6. base de données 2017-2018 : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1R9P7-jR6EG-K-RPh0Ax9wtsRjwfPcEIPe_Aa-FWmMsk/edit?usp=sharing
7. Base de données 2020 : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1MRecZFiTCGlsqT_4hwgaNb1BS39QhPnbGIVid-Zvrnw/edit?usp=sharing
8. Base de données 2023 : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1cKn-W0wvUblsN6hXgUIaBrsysgz7Aae_ff8rKaauBBs/edit?usp=sharing
En Annexe :
9. Tableaux croisés dynamiques répondant aux hypothèses de départ
Hypothèse de l’influence du niveau de vie sur la conformité à la loi
Hypothèse de l’influence de la couleur politique sur la conformité à la loi
Hypothèse de l’influence de la gestion – publique ou privée – sur la conformité à la loi
10. Classification des partis politiques selon une typologie gauche/droite/centre
11. Niveau de vie annuel médian par catégorie de commune : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371237?sommaire=5371304
12. Diagramme permettant de constater l’effet de la loi Egalim sur la fréquence de repas végétariens
Liste des sources et interlocuteur·ices de terrain
- Gilles Perole, Président du groupe de travail « restauration » collective au sein de l’Association des maires de France
- Lucie Robin, diététicienne à la ville de Bègles
- Stéphane Trebern, cuisinier à la cuisine centrale de Bègles
- Amélie Cohen Langlais, élue à l’alimentation à la mairie de Bègles
- Francis Feytout, élu en charge du vivant à la mairie de Bordeaux
- Françoise Aulnette, diététicienne
- Fanny Bréaud, élue en charge de l’alimentation à la maire de Le Tourne
- Mme Barreau, élue en charge de l’alimentation à la mairie de Castelnau de Médoc
- Corine Revaux, Référente FCPE 33
- Isabelle Noailles, Référente restauration collective à Cenon
- Astrid Prévost, responsable du pôle Végécantine de l’Association Végétarienne de France
- Rapport de l’AMF sur la restauration collective de 2020