Coulisses de l’enquête « Les inégalités de genre siègent toujours à l’Assemblée nationale »

Le choix du sujet 

Lors des législatives de 2022, l’Assemblée nationale a pris un nouveau visage. Un visage qui est légèrement moins féminisé que précédemment, avec 37% de députées (contre 39% sous la quinzième législature entre 2017 et 2022). Mais au-delà de ce constat qui prouve encore que la parité en politique n’est pas gagnée, quelle place occupent réellement les femmes élues à l’Assemblée Nationale, par rapport à celle prise par les hommes ? Derrière les efforts et progrès affichés, quels obstacles subsistent, quels biais sexistes persistent ? Les femmes ont-elles vraiment le même pouvoir que les hommes dans la représentation nationale ? Ce sont de ces questions qu’est partie notre idée d’enquête.

Nos hypothèses de départ  

Notre hypothèse de départ était que, malgré des progrès avec le temps, des inégalités de genre persisteraient encore à l’Assemblée nationale. En somme, nous sommes partis du principe que des biais sexistes empêcheraient toujours une égalité réelle dans la représentation nationale, au-delà de la parité en nombre.

Derrière cette hypothèse principale se cache en réalité plusieurs sous-hypothèses : 

  • Les députées, sous la pression du sentiment de légitimité, seraient plus assidues au travail parlementaire que les hommes
  • Les femmes auraient moins de responsabilités, seraient reléguées à des commissions permanentes jugées moins importantes et prendraient moins la parole que leurs homologues masculins de façon générale

La recherche de nos données

Dès le départ, nous avons notamment utilisé les sites Datan.fr, outil indépendant qui recense les données sur l’activité des parlementaires, et nosdéputés.fr , fondé par un collectif de citoyens. Il nous a, dès le départ, paru particulièrement complet, et dès les jours précédant la semaine Datalab, nous nous sommes attachés à récupérer plusieurs données comme les noms, les âges, les catégories socio-professionnelles, les participations aux votes, etc, des député.es de la XVIe législature.

Pour les compléter, nous avons utilisé les sites de l’Assemblée nationale et du projet Arcadie. Ce dernier recense toutes les informations publiques sur les députés et sénateurs.

A partir de cette récolte de données, et pour répondre à nos diverses hypothèses, nous avons réalisé un premier tableau qui recense l’ensemble des informations de base sur les député.es (genre, âge, circonscription, etc) mais aussi et surtout leur catégorie socio-professionnelle, si il ou elle est membre d’une commission et le rôle qu’il ou elle y occupe. Le but était d’analyser la composition genrée des commissions : commission après commission, y a-t-il toujours la même proportion de femmes, qu’importe les thématiques ? Evidemment, nous supposions que non, ce qui s’est vérifié, révélant ainsi des commissions plus féminisées, correspondant à des thèmes du « care ».

Tableau de données brutes sur les commissions- par Marie

Tableau croisé dynamique sur le rôle dans les différentes commissions- par Marie

Nous avons ensuite fait un second tableau qui recensait, en plus des informations de base, la participation des député.es aux votes, ainsi que leurs différentes prises de parole. Ces dernières étaient réparties selon leur contexte (hémicycle ou commissions) et leur durée (interventions courtes / longues). Nous cherchions à repérer les inégalités, et en avons surtout repéré en termes de prises de parole : en pondérant les chiffres, on voit bien que les hommes prennent globalement plus la parole que les femmes (en nombre d’interventions), surtout pour des interventions courtes (souvent spontanées : des petites phrases, des exclamations, des commentaires, etc).

Tableau de données brutes sur la participation et les prises de parole- par Timothée

Tableau de répartition des interventions courtes et longues par genre et parti dans l’hémicycle- par Timothée

Jusqu’au jeudi, Marie et Timothée se sont concentrés sur le travail des données, avec des tableaux croisés dynamiques et graphiques, pour faire apparaître des éléments d’analyse et de réponse à nos hypothèses : moyenne du taux de participation aux votes selon le genre, composition genrée des commissions, répartition des prises de parole dans l’hémicycle et dans les commissions selon le genre, etc. Il a fallu pondérer certaines données afin de ne pas biaiser leur analyse : le nombre de femmes est d’office plus faible que celui des hommes à l’Assemblée, donc il n’est pas possible de comparer les chiffres des deux groupes en valeurs absolues. La pondération permet la comparaison.

A noter que nous nous sommes aussi basés sur le placement des députées dans l’hémicycle pour analyser leur influence par rapport à celle de leurs homologues masculins. Nous avons pris pour base la cartographie des places dans l’hémicycle issue d’une étude de 2016 de Politiqu’elles, WAX Science et Data for good. Celle-ci répartit les places en 3 types d’importance politique, de haute à faible valeur :

Capture d’écran de la cartographie réalisée par Politiqu’elles, WAX Science et Data for good x Bayes impact

Ensuite, nous avons calqué sur cette base le placement de toutes les femmes députées, afin d’analyser si elles étaient à des places importantes ou non. Mais pour ces données, il a fallu travailler “à la main”, ce à quoi se sont attelés Marthe et Gilles.

Les jeux de données :

Nos recherches complémentaires 

Afin de vérifier notre hypothèse et d’analyser les résultats de nos données, nous avons fait le choix de nous orienter vers différentes intervenantes.

D’abord, nous avons contacté des députées, puisqu’elles sont les premières concernées par notre sujet, qui plus est de différents bords politiques pour prendre en compte les biais partisans qui cadrent leurs réponses sur le sujet. Nous nous sommes tournés en premier lieu vers des élues girondines, et donc vers Edwige Diaz (RN), qui a rapidement accepté notre demande d’interview, et Sophie Mette (MoDem), qui a accepté dans la foulée. Sophie Panonacle (Renaissance) ne nous a pas répondu, et nous avons dû sortir des frontières girondines pour avoir également une vision d’une députée de gauche. Nous avons notamment contacté Sandra Regol (EELV), via son assistant parlementaire, puisqu’elle est la première femme dans le classement des prises de parole dans l’hémicycle. Malheureusement, elle n’a pas pu répondre dans le temps restreint de notre enquête.

Nous avons aussi contacté des institutions et des spécialistes. Mais obtenir des réponses a été très fastidieux : le Haut-Conseil à l’Egalité s’est dit “incompétent” pour nous répondre, ce qui n’a pas été sans nous étonner. Léa Chamboncel, journaliste autrice d’un podcast qui a abordé la question des femmes politiques, ne se sentait pas à l’aise pour parler du sujet. Finalement, nous avons tout de même obtenu les éclairages précieux de Janine Mossuz-Lavau, politologue et sociologue à Sciences Po Paris.

Au-delà des interviews, nous nous sommes aussi basés sur plusieurs ressources. Concernant la composition des commissions permanentes par exemple, nous avons dû nous renseigner afin de bien comprendre le processus qui mène au choix des membres ainsi que des présidences et vice-présidences. Le site de l’Assemblée nationale dispose d’une fiche de synthèse très complète à ce sujet : ici. Concernant les biais sexistes pesant sur les femmes à l’Assemblée, nous sommes partis des constats de plusieurs travaux, comme l’ouvrage de Charlotte Rottman “Retourne à la maison” : les femmes politiques face au sexisme ordinaire (2016) ou encore un podcast de Léa Chamboncel.

Nos principales difficultés

S’il n’a pas été très difficile de trouver des données, tant les sites comme Datan.fr et nosdéputés.fr sont complets, leur nettoyage et leur analyse a toutefois posé quelques problèmes : 

  • Certaines données concernent les “commissions” en général et pas les “commissions permanentes” spécifiquement, ce que nous n’avons remarqué que dans un deuxième temps – et ce qui a nécessité de revoir certaines données (et même d’abandonner certains calculs)
  • Le nombre de députés est de 577 mais certain.es ont des données biaisées car elles ou ils ont des postes spécifiques (à commencer par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale) ou ne sont pas en fonction depuis la même durée, en raison de législatives partielles, de démissions, de suspensions, etc. Pour ces raisons, Timothée a identifié et mis de côté jusqu’à 35 député.es de son jeu de données pour certaines analyses (notamment pour les « interventions »)
  • Concernant les données de participation aux votes et de prises de parole, Timothée a passé du temps à les pondérer afin d’avoir des résultats réellement parlant et permettant des comparaisons
  • Il manque deux députées sur la cartographie que nous avons réalisée puisqu’elles n’avaient pas de place attribuée au moment de notre enquête. En général, réaliser cette cartographie « à la main » a été assez long

Notre production finale

Avec Anaëlle et Yohan pour rédacteurs de l’enquête et Marthe et Gilles pour rédacteurs des coulisses et créateurs des visuels, nous avons voulu proposer un récit anglé qui démontre que si la place des femmes à l’Assemblée nationale est de plus en plus égalitaire par rapport aux hommes, il reste du chemin à faire en raison de biais qui se constate lorsqu’on analyse des données comme la composition genrée des commissions permanentes, le placement dans l’hémicycle et les prises de parole notamment.

Notre hypothèse de départ s’est donc vérifiée en général, bien que la participation aux votes en séances publiques ne montre pas une assiduité très supérieure à celle des hommes et malgré quelques cas qui montrent qu’une égalité est possible (par exemple les prises de parole dans les commissions, tous types confondus).

Journal de bord de notre semaine d’enquête data

L’équipe

Référents rédaction : Anaëlle Colin et Yohan Chable

Référents rédaction coulisses et visuels : Marthe Dolphin et Gilles Foeller

Référents Data : Marie Colin et Timothée Gimenez